quote: | Comment Pasqua a fait peur à l'Elysée pour se réfugier au Sénat
L'ancien ministre n'en a pas fini avec la justice, mais il a gagné une manche dans le duel qui l'oppose au juge Courroye. Au début du mois de septembre, quand sa colère est devenue menaçante, le rapport de forces judiciaire s'est subitement inversé. Récit d'un retour surprenant.
Le motard dépêché par l'Elysée a sonné à 8 h 30, lundi 27 septembre, au domicile de Charles Pasqua, à Neuilly-sur-Seine. Elu la veille sénateur des Hauts-de-Seine, l'ancien ministre s'était couché tard : il était encore en robe de chambre.
A l'interphone, l'émissaire lui a dit être porteur d'un "pli personnel du président de la République" à remettre "en main propre". "Déposez-le dans la boîte aux lettres", a ordonné M. Pasqua. L'enveloppe contenait une courte lettre de félicitations manuscrite, signée par Jacques et Bernadette Chirac. A sa lecture, le nouveau sénateur, passé en quelques jours de l'enfer au paradis, a pu savourer son succès et mesurer, une fois encore, sa capacité d'intimidation.
Car le retour de M. Pasqua au Palais du Luxembourg n'est pas seulement le résultat d'une campagne électorale rondement menée ; c'est aussi l'issue d'une bataille livrée dos au mur, dont les épisodes s'assemblent en un puzzle politico-judiciaire édifiant. A 77 ans, encerclé par les "affaires" et marginalisé en politique, l'ancien homme fort des Hauts-de-Seine a mobilisé son énergie, son habileté et ses réseaux pour prendre à contre-pied ceux qui prédisaient sa fin.
L'incarcération, le 2 août, de son ancien homme lige, Jean-Charles Marchiani, suspecté dans une kyrielle d'affaires financières, était apparue comme un signe avant-coureur. Elle montrait combien leur défaite commune aux élections européennes - sur les listes du RPF - les laissait à la merci du juge, dénués de toute immunité depuis le 20 juillet. Elle marquait aussi l'échec d'un lobbying pressant au sommet de l'Etat, dont témoignent les écoutes téléphoniques posées à partir de la mi-juin sur la ligne de M. Marchiani : M. Pasqua y relate plusieurs interventions, directes et indirectes, auprès du chef de l'Etat pour éviter la prison à M. Marchiani, au nom des services rendus par ce dernier dans la libération des otages français au Liban, en 1986, et en Bosnie, en 1995 (lire ci-dessous).
Evoqué au détour d'une des conversations interceptées, un courrier personnel a été adressé à M. Chirac par l'ancien ministre de l'intérieur. A en croire l'un de ses rares lecteurs, il y invoquait la "responsabilité"du président, déplorant que M. Marchiani ne puisse agir aujourd'hui pour porter secours aux journalistes enlevés en Irak. "Les juges sont indépendants, mais pas les procureurs !", tonnait déjà M. Pasqua au début de l'été, pour réclamer l'intervention du garde des sceaux, Dominique Perben. Celui-ci a démenti, depuis, "tout contact" à ce sujet. Mais l'entourage de M. Pasqua maintient que le message lui fut transmis, sans préciser comment ni en quels termes.
Tout juste ses proches soulignent-ils son indignation à l'annonce de la promotion du juge Courroye dans l'ordre de la Légion d'honneur, le 14 Juillet, sur le contingent du ministère de la justice. Et sa colère lorsque le parquet requit, deux semaines plus tard, la mise en détention de M. Marchiani.
Un mois s'écoule avant que M. Pasqua ne reçoive, à son tour, une convocation de la brigade financière, le 1er septembre. Il est alors questionné, en qualité de témoin, sur un prêt qui lui fut consenti, en 2001, par une banque de Chypre et à propos duquel une information judiciaire est ouverte - sous la qualification de "blanchiment" - depuis le mois de mars.
A cette date, l'ancien ministre prépare discrètement son baroud sénatorial. Il en a informé Nicolas Sarkozy, son successeur à la tête du conseil général des Hauts-de-Seine, ainsi que l'Elysée. Aussi s'indigne-t-il de voir sa candidature polluée par les agissements d'un juge, rappelle qu'il avait à subir de semblables attaques du même magistrat à la veille de l'élection présidentielle de 2002 et prévient que, cette fois, il interprétera l'inaction de M. Chirac comme un "lâchage" et en tirera "toutes les conséquences".
Les échos de son irritation parviennent sans tarder jusqu'à l'Elysée, au point que, dans les premiers jours de septembre, il reçoit un appel empressé de Bernadette Chirac, désireuse de lui témoigner, ainsi qu'à son épouse, son amitié et son soutien. Il lui répond sans cacher son courroux et rappelle - comme il le fait, durant la même période, devant plusieurs interlocuteurs - que s'il avait été candidat en 2002, il aurait pris à M. Chirac assez de voix pour le faire perdre.
Deux ans plus tard, nul ne peut affirmer que cette évocation et les sous-entendus qui l'accompagnaient ont influé sur le cours de la justice. Mais au lendemain des perquisitions diligentées par le juge chez l'ancien ministre, le 16 septembre, la divulgation - par Le Monde - de sa nouvelle convocation par la police, le 20, qui annonce son placement en garde à vue, suscite un troublant imbroglio. Après avoir été confirmée par plusieurs sources judiciaires et policières, la convocation - dont la date avait été convenue oralement entre le juge et les avocats de M. Pasqua - est démentie, puis reportée. Le juge semble avoir pris acte d'une inversion subite du rapport de forces après que le procureur de Paris, Yves Bot, lui a personnellement fait part des insuffisances qu'il relevait dans le dossier et déconseillé toute précipitation. Dans les jours qui suivent, M. Courroye déjeune en tête à tête avec Laurent Le Mesle, directeur du cabinet de M. Perben et ancien conseiller de M. Chirac pour les questions judiciaires.
De la chancellerie au parquet, chacun s'accorde alors à penser qu'un nouvel affrontement entre la justice et les politiques doit être évité et que la candidature de M. Pasqua, affaibli et déconsidéré, n'est qu'une péripétie. Tous comprendront dimanche soir que les apparences les ont trompés : M. Pasqua avait été enterré trop vite.
Dans les Hauts-de-Seine, dont il connaît chaque pouce de terrain et presque tous les élus, sa campagne est rapide et efficace. Il l'a placée d'emblée sous le signe de la "majorité nationale" et proclamé qu'il siégerait, en cas de succès, au groupe UMP du Sénat. La droite départementale affiche ses querelles de personnes : outre la sienne, deux listes de l'UMP et deux listes de l'UDF s'y affrontent. Cette division, que M. Sarkozy n'a pas pris la peine d'interdire, sert les intérêts de M. Pasqua.
Le 19 septembre, le second s'impose au côté du premier à l'inauguration de la piscine de Neuilly. Le 22, au cours d'une réunion organisée à Villeneuve-la-Garenne, le maire de Levallois-Perret, Patrick Balkany, sarkoziste inconditionnel, explique devant 98 grands électeurs que la présence de sa propre épouse Isabelle, vice-présidente du conseil général, sur la liste officielle de l'UMP "ne signifie rien" et que "les élus du département sont tous les enfants de Charles Pasqua". En trois jours, les pointages lui garantissent 190 votes : il en faut 180 pour être élu. Il en obtiendra 211. Sans compter les félicitations de M. et Mme Chirac.
Hervé Gattegno
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J'arrive pas à le croire
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