Le golf de la rue
quote: | BERLIN (AFP) - Leur jeu est au golf classique ce qu'est un concert punk à un opéra de Mozart: pestant contre l'étiquette, les turbulents "turbogolfeurs" investissent chaque dimanche l'un des nombreux chantiers de Berlin pour des parties décalées, entre gravats et bulldozers.
"Dans un club traditionnel, on nous interdirait de jurer, nous bagarrer et boire de la bière", remarque Florian Fabian Fuchs, dit "3F", en ajustant son coup, en direction de la pelle d'une grosse machine.
"S'inscrire dans un club est très cher", déplore un acolyte, Dennis, le seul du groupe à avoir joué chez les "vrais". En allemagne, les frais d'inscription s'élèvent en moyenne à 500 euros mais peuvent grimper à plusieurs milliers.
"Nous, c'est simple: on s'envoie un mail le matin pour savoir dans quel chantier on se retrouve", dit-il en tirant sur une cigarette. Les investissements se limitent au renouvellement des clubs, tees et balles, soumis il est vrai à un rude régime.
Né à Hambourg dans le nord de l'Allemagne il y a une dizaine d'années, le concept a naturellement trouvé ses quartiers dans la capitale. "Berlin est le plus grand chantier d'europe, on n'arrêtera pas de construire ici", assure "3F", étudiant de 24 ans. Le "turbogolf" compte aussi des adeptes en Suisse et à Londres.
"Jouer sur un chantier est illégal, mais généralement ça ne dérange personne. Si la police débarque, on déguerpit", explique Florian, les petits yeux d'une petite nuit.
Lui et sa dizaine de collègues ont enjambé cette fois-ci les barrières du chantier de la "Nordbahnhof", une gare des années 30 désaffectée, près de l'ancien Mur. Un lot de cadavres de bouteilles traîne là, vestige de leur dernier passage.
Leurs cibles varient du pied d'une grue au trou d'un cylindre en passant par une vieille roue de bulldozer. Chacun a dix essais pour atteindre le drapeau rouge qu'ils installent pour marquer l'emplacement du trou imaginaire. "Nous jouons toute l'année, sauf quand il y a de la neige, car alors on ne voit plus les balles", précise Florian.
Le perdant porte jusqu'au prochain départ le sac de clubs dépareillés. "Nous avions acheté un lot complet, explique Simon, mais avec les coups, une bonne partie des clubs s'est cassée. On en récupère régulièrement d'autres".
"L'autre mauvais côté d'un club de golf classique c'est qu'il faut suivre un strict code vestimentaire", continue "3F". Mais à leur manière, Florian et ses compères - dont le "doyen" a 31 ans - observent eux aussi un "dress-code": barbe de plusieurs jours, caleçon apparent, jeans flottants et baskets à rayures sans oublier les porte-clés à la languette synthétique tombant de la poche.
Ils sirotent une bière tout au long du parcours. L'usage veut que les journalistes en apportent une caisse. Simon porte avec lui également une bouteille d'eau car il s'est "sérieusement déshydraté la nuit dernière".
Ce dimanche, le ciel annonce la grêle. "3F" rajuste sa casquette pour se concentrer et lance à un comparse: "Pousse ta bière que je puisse correctement frapper!" |
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